Le corps n'oublie rien (2018)

Le cerveau, l'esprit, le corps dans la guérison du traumatisme

Bessel Van Der Kolk, psychiatre américain, fondateur du Trauma Center à Boston

 

Le cerveau traumatisé dans tous ses états

Après le traumatisme, on perçoit le monde avec un autre système nerveux. On concentre son énergie sur la répression de son chaos intérieur, au lieu de l'investir dans sa vie.

Ces tentatives pour maîtriser les réactions physiologiques insoutenables peuvent créer une kyrielle de symptômes physiques : fibromyalgie, épuisement chronique et autres maladies auto-immunes. Voilà pourquoi il est crucial que le traitement d'un traumatisme porte sur l'ensemble de l'organisme : cerveau, corps et esprit.

 

Rétablir l'équilibre c'est mettre fin à la mobilisation constante du stress.

 

Que fait notre cerveau ?

Il assure notre survie, même dans les pires conditions. Pour y parvenir, il doit :

1. Produire des signaux internes indiquant ce dont notre corps a besoin : nourriture, repos, protection, refuge.

2. Créer une carte du monde pour nous indiquer où satisfaire ces besoins.

3. Produire de l'énergie et les actions nécessaires pour nous y conduire.

4. Nous prévenir des dangers et des possibilités présents sur le chemin.

5. Adapter nos actes aux exigences du moment. Étant mammifères, des êtres capables de survivre et prospérer seulement en groupe, ces 5 impératifs nous demandent une coordination et collaboration.

 

Action efficace ou immobilisation ?

Les problèmes mentaux (psychologiques) viennent quand :

1. Nos signaux internes ne fonctionnent pas

2. Nos cartes ne mènent pas où on a besoin d'aller

3. On est trop paralysé pour bouger

4. Nos actes ne correspondent pas à nos besoins

5. Nos liens aux autres sont rompus.

 

Le traumatisme peut modifier chacune de ces 5 fonctions.

 

De quoi est fait notre cerveau ?

Composé d'une superposition de 3 strates principales commençant par le plus animal :

1. Le cerveau reptilien (le cerveau instinctif) dans le tronc cérébral nous permettant de : respirer, pleurer, manger, dormir, se réveiller, sentir la température, la faim, l'humidité, et la douleur, l'évacuation des toxines via les selles et l'urine.

2. L'hypothalamus : avec lui, le cerveau reptilien contrôle les niveaux d'énergie du corps : coordonne la respiration et les battements cardiaques, le système hormonal et immunitaire.
Tout deux garantissent l'homéostasie : le maintien de l'équilibre entre ces systèmes vitaux en mouvement permanent.

Le système limbique : siège des émotions, détecteur des dangers, juge ce qui est plaisant ou effrayant, arbitre ce qui est important pour notre survie ou non, gère la complexité de nos relations sociales. Il se forme par l'expérience, résulte de la génétique et du tempérament inné.

Tous deux forment le cerveau émotionnel.

Si on se sent aimé et en sécurité (ce que détectent les 3 parties mentionnées), le cerveau se consacre à l'exploration, au jeu et à la coopération.

Si on se sent effrayé et non désiré, le cerveau se spécialise dans la gestion des sentiments de peur et d'abandon.

 

3. Le néocortex (le cerveau rationnel : il donne du sens) : formé par les lobes frontaux qui contrôlent la capacité de : se tenir tranquille, contrôler ses sphincters, pourvoir utiliser des mots au lieu d'agir, comprendre des idées abstraites et symboliques, se projeter et organiser sa journée future, être en phase avec ses relations sociales, amicales. Il donne un sens à ce qui nous arrive, planifie, réfléchie, imagine et joue, est le siège de la créativité et de l'imagination. Également siège de l'empathie. Siège des neurones miroirs : capacité de ressentir (mouvement, intention et état émotionnel) ce que l'autre ressent par le simple regard.

 

Résumé :

Nos 3 cerveaux -

1. Tronc cérébral - cerveau reptilien - responsable des fonctions de survie

2. Cerveau limbique - carte de la relation entre soi et l'environnement, pertinence émotionnelle, catégorisation, perception

3. Cortex préfrontal - planification, anticipation, notion du temps et du contexte, inhibition des actes inappropriés, compréhension empathique

 

Utiliser cela pour guérir

Un traitement du traumatisme doit réactiver la capacité à refléter les autres et à être reflété par eux sans danger, mais aussi à résister à l'emprise de leurs émotions négatives.

Si nos lobes frontaux n'ont pas été suffisamment stimulés dans l'enfance via l'attachement et l'interaction sociale, alors en grandissant, on a moins la capacité d'être : inventif, innovant, découvrir l'inconnu, s'émerveiller.

Les lobes frontaux ont une fonction inhibitrices : ils inhibent certaines de nos actions impulsées par nos désirs. Mais c'est exactement à cette frontière entre l'impulsion et la conduire acceptable que commencent la plupart de nos problèmes. Plus le cerveau émotionnel est excité, moins le cerveau rationnel peut le refroidir.

 

Le troisième cerveau est susceptible de se désactiver à tout âge sous une menace insupportable.

 

Alerte rouge ou fausse alerte ?

Les informations des sens sont centralisées dans le thalamus (zone 2) qui est capable de les réunir pour former une expérience de vie "voilà ce qui m'arrive".

Ensuite, il dirige ces informations dans deux directions : l'amygdale, et le cortex frontal. L'amygdale traite l'information en premier, et détecte si oui ou non cette expérience présente un danger pour notre survie comme un détecteur de fumée. L'hippocampe l'aide dans ce traitement en comparant l'expérience aux expériences passées. C'est l'amygdale qui est susceptible de mobiliser tout le corps en cas de danger : message à l'hypothalamus, au tronc cérébral, envoie les hormones du stress et mobilise le système nerveux autonome.

Lorsque le thalamus envoie des informations de danger permanent, il est alors détraqué.

Comme l'amygdale traite en premier l'information de danger ou non avant que le cortex frontal (de quelques millisecondes) ne soit informé : ce processus et cette mobilisation du notre système nerveux face au danger est inconsciente, c'est le mode automatique. Il fait rentrer le corps dans un mode de lutte ou de fuite (rythme respiratoire, cardiaque, tension plus haute). Lorsque le danger passe, le corps revient à la normale sauf quand ce retour est bloqué : le corps est sans cesse agité et excité.

L'amygdale exposée à un traumatisme va sur ou sous interpréter les signaux de l'expérience vécue. Or, on ne peut s'entendre avec les autres que si on évalue précisément la nature, bonne ou mauvaise, de leurs intentions et une simple petite erreur dans ce domaine peut entraîner de douloureux malentendus.

Des systèmes d'alarme défectueux peuvent mener à exploser ou à se fermer en réponse à des commentaires ou à des regards anodins.

 

Le cortex frontal, lui, joue le rôle de guet, il a une vue d'ensemble sur l'expérience et la réaction physiologique ordonnée par l'amygdale.

Il nous permet d'observer ce qui se passe, de prédire les conséquences de nos actes, d'opérer un choix conscient, de flotter calmement et objectivement au dessus de nos émotions, de nos sensations, et de nos pensées : c'est le siège de la pleine conscience. Cette pleine conscience nous permet d'inhiber, organiser et moduler les réactions automatique préprogrammées de notre cerveau émotionnel. Ceci est capital pour préserver nos relations avec les autres. Si ce système tombe en panne, on devient un animal conditionné qui fuit ou attaque sous le stress.

 

Dans le syndrome de stress post-traumatique, l'équilibre nécessaire entre l'amygdale (détecteur de fumée) et le cortex préfrontal médian (guet) est perturbé ce qui rend difficile de contrôler ses émotions et ses réflexes. La peur, la tristesse et la colère sur stimule l'amygdale et réduit l'activation du guet.

 

Pour bien réagir au stress, c'est à dire rétablir cette équilibre amygdale / cortex préfrontal médian, il y a deux options : apprendre à les réguler de haut en bas ou de bas en haut.

- de haut en bas : on module les messages du cortex préfrontal médial pour renforcer l'aptitude du guet à repérer les sensation du corps via le yoga, la méditation de pleine conscience, la CNV ...

- de bas en haut : en passant par le cerveau reptilien via la respiration, le mouvement, le toucher en recalibrant le système nerveux autonome du tronc cérébral.

 

Le cœur a ses sentiments que la raison ignore ?

Bessel déclare : "Je tiens maintenant à souligner que l'émotion n'est pas opposée à la raison ; l'émotion attribue une valeur à ce qu'on vit et forme ainsi le fondement de la raison. Se sentir soi-même est le résultat d'un équilibre entre ces deux cerveaux : rationnel et émotionnel."

 

La plupart des problèmes psychologiques ne sont pas des failles de compréhension (rationnelles) mais à des pressions de zones situées plus profondément dans le cerveau, qui régissent l'attention et la perception.

Quand la sonnette d'alarme (l'amygdale) ne cesse de signaler qu'on est en danger, aucune introspection, si grande soit-elle, ne la fera taire.

C'est quand nos deux cerveaux sont en conflit : être furieux contre quelqu'un qu'on aime, effrayé par un être dont on dépend, désirer quelqu'un d'inaccessible..., qu'un bras de fer s'engage. La bataille se joue en grande partie dans le théâtre de notre expérience viscérale : le coeur, les entrailles, les poumons et elle crée à la fois un mal-être physique et une souffrance psychologique.

 

Pour les traumatisés, ce qui se passe autour dans le quotidien devient de moins en moins prégnant : on ne comprend pas en profondeur ce qui nous entoure et cela nous empêche de nous sentir pleinement vivant. On a alors plus de mal à éprouver les contrariétés et les joies de la vie courante, et à se concentrer sur ses tâches, ce qui enferme les traumatisés dans le passé.

 

Le défi n'est pas tant d'essayer d'accepter les choses terribles que l'on a subies que d'apprendre à maîtriser ses sensations et ses émotions : percevoir, nommer et identifier ce qui se passe en soi est le premier pas vers la guérison.

 

Être conscient de ce qui se passe dans son corps nous offre un ancrage dans le présent qui permet de comprendre que les terribles évènements appartiennent au passé.

 

La dépersonnalisation

Bessel raconte : "Dans mon cabinet, je vois régulièrement des dépersonnalisation lorsque des patients me racontent des atrocités sans aucune émotion. Alors la pièce se vide de toute son énergie, et je dois faire de rudes efforts pour soutenir mon attention. Un patient sans vie vous force à travaille encore plus dur pour garder la thérapie vivante, et avant il m'arrivant souvent d'avoir hâte que la séance finisse.

 

Il s'agit d'aider les traumatisés en leur permettant de vivre pleinement et en sécurité dans le présent. Pour cela, il faut réactiver les structures cérébrales dont ils ont été privés quand le traumatisme les a submergés. La désensibilisation peut rendre moins réactif, mais si on ne trouve pas de satisfaction dans les choses quotidiennes : flâner, cuisiner, ou jouer avec ses enfants, on passe à côté de sa vie.

 

Il y a des expressions faciales semblables entre les humains et les animaux : les signes de la colère et les postures menaçantes les invitent à reculer. La tristesse attire l'attention et la sollicitude. La peur signale l'impuissance ou prévient d'un danger.

 

Si un organisme est bloqué en mode survie, son énergie se concentre sur la lutte contre des ennemis invisibles, ne laissant aucune place pour l'alimentation, l'amour et l'autoprotection. L'esprit se défend contre de vagues attaques, leurs liens les plus étroits sont menacés, de même que leur aptitude à imaginer, prévoir, à jouer, à apprendre et à tenir compte des besoins des autres.

 

Combien de problèmes de santé mentale, de la dépendance à la drogue et à l'automutilation, commencent par des tentatives pour supporter la douleur physique des émotions ?

Ainsi la solution consiste à trouver des moyens d'aider les gens à modifier leur paysage sensoriel interne.

 

La thérapie comportementale et cognitive (TCC) consiste à exposer le patient de façon répété à un signal leur rappelant le traumatisme passé jusqu'à ce que leur système interprétatif réalise qu'ils sont en fait en sécurité.

 

Parfois le corps est immobilisé par deux réflexes physiques antagonistes : une excitation à fuir et un mouvement d'inhibition à rester immobile, difficilement conciliable, causant une rupture d'équilibre. Ou bien, une envie de maintenir un lien et une autre d'échapper à la douleur, la souffrance et la trahison. Être confronté à une incapacité d'agir mène à l'impuissance apprise.

 

Comment aide-t-on les gens à retrouver l'énergie de s'engager dans la vie et de s'épanouir? Avec les émotions, c'est elles qui propulsent dans l'action, elles sont le moteur pour satisfaire les appétits, les besoins. Ainsi, les mouvements et les émotions ne sont plus des problèmes à régler mais des atouts à combiner pour renforcer l'intentionnalité.

 

Le rôle du système nerveux dans la guérison

Tout ce que l'on perçoit d'instinct (les tensions du visage, les mouvements des yeux, la vitesse et le ton de la voix, la respiration ...) sont régulés par notre système nerveux : l'autonome ou sympathique (avec les émotions) joue le rôle d'accélérateur qui prépare le corps à dépenser de l'énergie (lutte ou fuite), et le parasympathique qui joue le rôle de frein préparent le corps à conserver son énergie.

Une bonne variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) indique qu'il y a harmonie entre l'accélération et le frein, et que le système nerveux est équilibré. On peut jouer dessus en prolongeant l'expiration par rapport à l'inspiration.

 

Le codage neuronal de l'amour par Stephen Porges : presque toutes les souffrances psychiques impliquent des difficultés soit à créer des relations stables et satisfaisantes, soit à réguler son excitation (piquer des crises, se fermer, être surexcité ou désorganisé).

 

Pas la peine d'avoir été traumatisé pour se sentir gêné voire paniqué à une fête avec des inconnus  mais le traumatisme peut transformer le monde entier en une foule d'extraterrestres.

 

S'enfermer dans un groupe de  victimes étroitement défini conduit à développer une vision des autres au mieux non pertinente, et au pire dangereuse qui ne mène en définitive qu'à augmenter l'aliénation. Les gangs, les partis politiques extrémistes et les cultes religieux peuvent donner un réconfort, mais ils suscitent rarement la souplesse mentale nécessaire pour être pleinement ouvert à ce que la vie a à offrir et ils ne peuvent donc pas libérer d'un traumatisme.

 

Chez le traumatisé, sa physiologie de survie est défaillante et joue contre lui, il s'agit de sa neuroception. Il faut donc les aider à bien réagir au danger, mais aussi et surtout à retrouver la faculté d'éprouver la sécurité, la détente et la vraie réciprocité.

 

Face à un danger, trois réactions possibles : concentration (pour sauver les autres et soi même), affolement et effondrement.

 

Lorsqu'on se sent menacé, on se tourne d'instinct vers l'engagement social en cherchant de laide ou du réconfort chez les personnes de son entourage. Si cela ne fonctionne pas, alors on se retrouve en affolement. Si l'affolement qui a causé soit la fuite soit l'attaque ne fonctionne pas, alors l'organisme tente de se préserver en se fermant et en dépendant le minimum d'énergie : on est alors en immobilisation ou effondrement.